L'Altruisme
Le Dalaï-lama distingue deux types d'amour altruiste : le premier se manifeste spontanément du fait des dispositions biologiques que nous avons héritées de l'évolution. Il reflète notre instinct de prendre soin de nos enfants, de nos proches et plus généralement de ceux qui nous traitent avec bienveillance.
Cet altruisme naturel et inné ne nécessite aucun entraînement. Sa forme la plus puissante est l'amour parental. Toutefois, il reste limité et partial, car il dépend généralement de nos liens de parenté ou de la façon dont nous percevons, favorablement ou défavorablement, les autres ainsi que de la manière dont ils nous traitent.
La sollicitude à l'égard d'un enfant, d'une personne âgée ou d'un malade naît souvent de notre perception de leur vulnérabilité et de leur besoin de protection. Nous avons certes la faculté de nous émouvoir du sort d'autres enfants que les nôtres et d'autres personnes que nos proches, mais l'altruisme naturel ne s'étend pas facilement à des inconnus, encore moins à nos ennemis. Il est également inconstant puisqu'il peut disparaître lorsqu'un ami ou un parent jusqu'alors bien disposé à notre égard change d'attitude et nous traite soudain avec indifférence, voire avec hostilité.
L'altruisme étendu, au contraire, est impartial. Chez la plupart des gens, il n'est pas spontané et exige d'être cultivé. "La sympathie, bien qu'acquise comme instinct, se fortifie aussi beaucoup par l'exercice et par l'habitude", écrivait Darwin. Quel que soit notre point de départ, nous avons tous la possibilité de cultiver l'altruisme et de transcender les limites qui le confinent au cercle de nos proches.
L'altruisme instinctif, acquis au cours de notre évolution, en particulier celui de la mère pour son enfant, peut servir de base à l'altruisme plus étendu, même si telle n'était pas là sa fonction initiale.
Cette extension comporte deux étapes principales : d'une part on perçoit les besoins d'un plus grand nombre d'êtres, tout particulièrement ceux que l'on avait considérés jusqu'alors comme des étrangers ou des ennemis. D'autre part, on donne de la valeur à une ensemble d'êtres sensibles beaucoup plus vaste, qui dépasse le cercle de nos proches, du groupe social, ethnique, religieux, national qui est le nôtre, et qui s'étend même au-delà de l'espèce humaine.
Einstein a écrit en 1921 :
"L'être humain est une partie du tout que nous appelons l'univers, une partie limitée par le temps et l'espace. Il fait l'expérience de lui-même, de ses pensées et de ses sentiments comme d'événements séparés du reste, c'est là une forme d'illusion d'optique de sa conscience. Cette illusion est une forme de prison pour nous, car elle nous restreint à nos désirs personnels et nous contraint à réserver notre affection aux quelques personnes qui sont les plus proches de nous. Notre tâche devrait consister à nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion de manière à y inclure toutes les créatures vivantes et toute la nature dans sa beauté."
Matthieu Ricard - Plaidoyer pour l'altruisme – 2013