Le Maître Intérieur
L’âme vraie et secrète en nous – subliminale, avons-nous dit, mais le mot est trompeur, car cette présence ne se situe pas sous le seuil du mental de veille, mais brûle dans le temple du cœur le plus profond, derrière l’écran épais d’un mental, d’une vie et d’un corps ignorants, non pas subliminale, donc, mais derrière le voile - , cette entité psychique voilée est la flamme de la Divinité qui est toujours allumée en nous, et que rien ne peut éteindre, pas même cette dense inconscience qui nous empêche de percevoir notre moi spirituel intérieur et obscurcit notre nature extérieure. Cette flamme née du Divin est la lumineuse habitante de l’Ignorance, où elle grandit jusqu’à ce qu’elle puisse l’orienter vers la Connaissance. C’est le témoin et le Maître invisibles, le Guide caché, le Daïmon de Socrate, la lumière ou la voix intérieure du mystique. C’est ce qui perdure, impérissable en nous de naissance en naissance, et que n’atteint ni la mort, ni le déclin, ni la corruption. Cette indestructible étincelle du Divin n’est pas le Moi ou Âtman non né, car même en présidant à l’existence de l’individu, le Moi demeure conscient de son universalité et de sa transcendance, mais elle n’en est pas moins son député dans les formes de la Nature, elle est l’âme individuelle, chaïtya purusha, qui soutient le mental, la vie et le corps, se tient derrière l’être mental , l’être vital, l’être physique subtil en nous, observe leur développement et profite de leurs expériences. La véritable entité de ces autres pouvoirs de la personne en l’homme, de ces êtres de son être, est elle aussi voilée ; mais ces pouvoirs projettent des personnalités momentanées qui composent notre individualité extérieure, et nous appelons « nous-mêmes » la combinaison de leur action superficielle et de leur état apparent. Prenant forme en nous en tant que Personne psychique, cette entité la plus profonde projette également une personnalité psychique qui change, grandit, se développe de vie en vie ; car c’est elle qui voyage entre la naissance et la mort, entre la mort et la naissance ; les éléments de notre nature ne sont que sa robe changeante aux formes innombrables. Au début, l’être psychique ne peut agir que de manière voilée, partielle et indirecte, par l’intermédiaire du mental, de la vie et du corps, puisque ce sont ces parties de la Nature qui doivent progressivement devenir ses moyens d’expression, et qu’il est longtemps limité par leur évolution. Ayant pour mission de conduire l’homme plongé dans l’Ignorance vers la lumière de la Conscience divine, il recueille l’essence de toute expérience dans l’Ignorance pour former un noyau de la croissance de l’âme dans la nature ; il transforme le reste en matériau pour la croissance future des instruments qu’il doit utiliser jusqu’à ce qu’ils soient prêts à devenir une lumineuse instrumentation du Divin. C’est cette entité psychique secrète qui est la vraie Conscience originelle en nous, plus profonde que cette construction conventionnelle que le moraliste appelle conscience, car c’est elle qui indique toujours la voie vers la Vérité et ce qui est Juste, vers la Beauté, l’Amour et l’Harmonie et toute possibilité divine en nous, avec persistance, jusqu’à ce que ces choses deviennent le besoin dominant de notre nature.
Sri Aurobindo – La Vie Divine